dimanche 27 avril 2014

Monde sans oiseaux de Karin Serres

 
Petite maison face au lac. Cabane de planches au ras de l'eau. De l’intérieur, on voit le jour entre les planches, il dessine des lignes qui restent devant les yeux quand on regarde ailleurs, après. Du néon sans matière, du feu rayé sur les choses. 
 

Si vous ne lisez que ces lignes;

Une merveille, un éblouissement de poésie. La délicatesse y croise la profondeur sourde des pensées et de l'eau noire, tandis qu'une vie passe comme un vol d'oiseaux... Un futur étrange, parsemé des lumières des cochons fluorescents, un futur pas si éloigné de nous, qui nous ressemble tellement... Ou bien est-ce une réalité alternative ?


Karin Serres

Née en 1967, Karin Serres écrit depuis toujours. Elle est aussi illustratrice, traductrice, décoratrice, costumière et metteuse en scène de théâtre. 

Touche à tout,  Karin Serres saisit aussi toutes les occasions pour croiser son expérience avec celle d’autres écrivains, artistes ou programmateurs : co-fondatrice de LABOO7 (réseau de travail et de réflexion autour du théâtre contemporain européen pour la jeunesse) et des COQ CIG GRU (collectif agitateur d’écriture), membre d’H/F, experte-résidente de THOPIC (Theatre Open Platform for International Cooperation), jurée du Grand Prix de Littérature Dramatique, elle travaille aussi avec la Convention Théâtrale Européenne, la Banff playRite Colony, la Maison Antoine Vitez, la Mousson d’Été, Nova Villa, les BIS, Aneth, La Scène… et divers théâtres et compagnies. 

Karin Serres a été autrice associée au théâtre de l’Est parisien durant la saison 2003-2004, et l’est actuellement à Nova Villa (Reims) et l’Archipel (Granville). Elle est aussi marraine d’écriture du Théâtre du Rivage (Saint Jean de Luz) et du Centre Culturel Théo Argence (St Priest).

Le pitch

   
Petite Boîte d’Os  est la fille du pasteur d’une communauté vivant sur les bords d’un lac nordique, on ne sait trop où.  Son nom, elle le tient d'une réflexion philosophique qu'à eu son père le jour de sa naissance... 

Elle grandit dans les senteurs d’algues et d’herbes séchées, entourée des cochons génétiquement modifiés au sein d'une famille aimante, composée de ses deux parents et de son frère ainé. Intelligente et curieuse de tout, Petite Boîte d'Os devient une adolescente romantique aux côtés de son amie Blanche.

Dans ce monde à la beauté trompeuse, se profile le spectre d’un passé enfouit où vivaient des oiseaux, une espèce aujourd’hui disparue. Le lac, d’apparence si paisible, est le domaine où nagent les cochons fluorescents, et au fond duquel repose une forêt de cercueils, dernière demeure des habitants du village. 

Elle découvre l’amour avec le vieux Joseph, revenu au pays après le « Déluge », enveloppé d’une légende troublante qui le fait passer pour cannibale.

Une histoire d’amour fou aussi poignante qu’envoûtante, un roman écrit comme un conte, terriblement actuel, qui voit la fin d’un monde, puisque l’eau monte inexorablement et que la mort rôde autour du lac…

 La vie est cyclique. La barbe pousse sur les joues de Jeff qui la rase, elle repousse. Il la rase, elle repousse. L’armée de poils perce la peau du menton et des joues de Jeff, me pique les lèvres quand je l’embrasse et m’embrase. La vie est ronde. On se regarde, face à face, tellement près. On se connaît par cœur, on se redécouvre sans arrêt
 

Ce que j'en ai pensé

 
Rendre poétique un récit, ou mettre en récit de la poésie, voilà une tache ardue. Fait d'éblouissements, de petits bouts de joies ou de peines d'un quotidien qui nous échappe par moment et qui reste pourtant si proche, c'est d'une poésie de haïku qu'est fait ce récit superbe. En cela, Monde sans oiseaux m'a fait penser au sublime Le poids du papillon d'Erri De Luca, ou  encore à  Le vielle homme et la mer d'Ernest Hemingway: il y a du naturalisme dans cette écriture, sans pour autant taxidermer la réalité.

Posé au bord de l'eau tout comme le village de Petite Boîte d'Os, le récit qu'elle nous fait de sa vie coule doucement, passant des éblouissements du miroitement des joies et espoirs de sa vie au sombre des profondeurs du lac et des esprits. Sans jamais poser de jugements de valeurs, le constat d'une vie sans faux-semblants ou romantisme bourgeois. Petite Boîte d'Os nait,  Petite Boîte d'Os vie,  Petite Boîte d'Os aime, Petite Boîte d'Os vieillit. 

Ce roman se déroule dans un futur proche ou éloigné de nous, ou peut-être dans une réalité alternative, et au final, peut importe. C'est en cela que réside une des forces principales de ce roman; peu importe. Les détails, la langue parlée, la raison de l'état du monde, le temps écoulé: peu importe. Seule importe la vie de Petite Boîte d'Os, interne et externe, seule importe la vie dans sa beauté parfois cruelle. 

A mis chemin entre une sagesse paysanne et des envies de femme libérée, Petite Boîte d'Os pourrait aussi bien être du lac Titicaca, et d'une civilisation andine, que des fjords énoncés brièvement en début de roman. Et pourtant, à aucun moment je n'ai senti de volonté chez l'auteure d'universaliser son héroïne, de sensibiliser son public aux soucis que posent la modernité ou le réchauffement climatique. Peintre d'une vie, à la Maupassant, Karin Serres se fait absente de son propre livre, laissant la place entière à son héroïne et aux paysages qu'elle dépeint. Point d'égo de l'écrivain; juste une voix qui vous chuchote ses rêves et ses envies, qui vous confie ses tristesses aussi. 

Mais réduire ce récit à cette simple dimension serait  le trahir. 

L'amour simple et vrai vécut par Petite Boîte d'Os est rafraichissant dans notre société de midinettes, et fait une ode au couple construit sur la longueur, brisant le cycle épuisant des coups de foudres habitant toute la littérature actuelle. Un amour profond, riche comme la terre sombre du potager de Jeff, personnage secret et humain.
 
De la dentelle de lumière,  un souffle de vie. Au final, peu importent les feuilles, le temps ou même les pensées; seuls restent les cadavres rongés et l'amour qui vibre dans le vent....

 Maman nage lentement au milieu des cochons qu'elle a réveillés, son sillage brillant la suit comme une queue. Elle plonge. Dans un chapelet de bulles, ses fesses rondes et pâles brillent sous la lune comme la tête d'un monstre joufflu, puis maman remonte, rit, 
et, sur la berge, papa lui tend une serviette. 

 

En résumé...   

Les plus;  

  • Une écriture simple, sans fioritures, poétique,
  • une histoire belle, un amour vrai, un monde étrange et dépaysant,
  • un ancrage au réel des sentiments et du vécus.

Les moins; 

  • Un manque d'explications et de scientificité qui frustreront les férus de hard sf,
  • une histoire d'amour qui vous frustrera si vous êtes en quête  de  romanesque,
  • un rythme lent, intimiste qui pourrait agacer ou en rebuter certains. 

 

En conclusion; 

Un coup de foudre littéraire pour moi: point de vue qui reste très subjectif malgré de nombreuses critiques allant dans ce sens un peu partout. Touchant à l'être intime et aux plus profondes sensations, ce roman est pour moi une merveille littéraire, sans pour autant être un roman de science fiction à part entière. Une écriture simple et lente que je vous enjoint à découvrir si ma critique vous en a donné l'envie. 


cités dans cet article ;

 



 

pour aller un peu plus loin ; 

Des écritures simples, du vécu, de la poésie brute

 

 

 


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