mercredi 30 juillet 2014

Prométhée vagabond d'Alexis David-Marie

 -Le feu non, la vérité, oui. Je suis celui qui dévoile la supercherie que Jupiter a fait avaler aux chrétiens.
 -Quelle supercherie ?
-Celle de leur avoir fait croire qu'il était dieu unique et dieu d'amour...


Si vous ne lisez que ces lignes;

 Un road trip au travers de l'Europe du XVIIiem siècle de deux compagnons d'infortune, chercheurs de vérités tous deux à leur manière. Philosophie et aventure s'y marient à merveille, servies par une écriture magistrale. Prenez votre bâton de pèlerin et embarquez donc dans cette quête de l'ineffable !

Lui qui n'avait pas même de pain gardait toujours de quoi écrire.

 

Alexis David-Marie

 

Né en 1979, Alexis David-Marie réside dans le Val-de-Marne où il est enseignant. 

Il a participé à l’ouvrage collectif Dictionnaire pittoresque du collège, paru en septembre 2013 aux Éditions Aux forges de Vulcain. Prométhée vagabond est son premier roman.


Le pitch



1674. Paul, étudiant en quête de rédemption, est envoyé à la recherche de Larpenteur, théologien devenu auteur de pamphlets impies. 

Parcourant les chemins d’un Grand Siècle de boue et de neige, très loin des ors de Versailles, ils lient leurs pas à ceux de nombreux compagnons de fortune. De mésaventures en péripéties, à travers le Saint-Empire et la France, une amitié se tisse entre les deux hommes. Prenant exemple sur Prométhée, ils devront dépasser la souffrance, brûler leurs certitudes pour espérer apporter la lumière.

Roman picaresque, Prométhée vagabond questionne la difficulté et la nécessité de penser contre les habitudes, les majorités et toutes les pesanteurs du monde ; le plus dur étant toujours de reconstruire sur les cendres des croyances que l’on a mises au feu.



-Ta religion  propose quelque chose à craindre, en même temps qu'une espérance... Elle dit aussi que celui qui souffre se rapproche du Christ.
-Et bien ?
-Et bien elle donne ainsi un sens à la souffrance, ce qui est sans doute la chose la plus importante.
-Vous n'accordez donc aucune place à la vérité ?
-La vérité ne pèse rien face au besoin de soulager la peine. Compose donc une fable, flattes-en d'espérance ceux qu'elle peut soulager et tu verras qu'ils y croiront... Je te le dit, toutes ces idoles que l'on dresse ou ces valeurs que l'on vénère, tout cela n'est que le symptôme de nos peurs et de notre condition misérable.



Ce que j'en ai pensé

Voici donc Paul, élève au séminaire de la Sorbonne, partit chercher Larpenteur, ancien séminariste devenu dérangeant dans ses pamphlets remettant en cause la foi et les textes chrétiens. 

Paul, qui s'exile volontairement pour expier une faute, pour commuer une nature qu'il ne comprend pas, suit ses croyances habillées d'une vérité née des habitudes séculaires... Larpenteur, exilé volontaire d'une foi confortable, partit en quête de sens dans un monde sans Dieu, s'inflige la laideur et l'absurdité du monde dans sa quête coléreuse.

Lequel des deux est Prométhée ? Peut-être un peu les deux, tentant d’apporter foi et science à l’autre, deux propositions de feu éclairant et /ou réchauffant pour l’humanité.

A la manière du mythe d’Icare inversé, tous deux partent de trop haut pour l’un et trop bas pour l’autre (et inversement selon le point faisant médiane selon les points de vue)  et tentent d’attirer l’autre sur son versant. une amitié née peu à peu entre le jar et l'épervier...

Savant mélange entre un Sade écrivant le Dialogue entre un prêtre et un moribond et un Savinien Cyrano de Bergerac ayant des intuitions sur le monde et les astres dans l'Histoire comique des États et Empires de la Lune et du soleil, Larpenteur se confronte à un Abélard mâtiné de Saint Augustin… Drôle de duo ! Ils deviendront pourtant amis, liés par leur quête commune de sens et leur nature loyale.

Vagabonds, ils le sont à l’image de l’ermite du tarot : errance initiatique tant spirituelle que physique. Leur périple, à l’image d’un labyrinthe de cathédrale, n’en est que perdition pour trouver son propre chemin intérieur. Chemin de croix, leur voyage les verra démunis de tout peu à peu, tant matériellement que philosophiquement. Deux ascètes se faisant ermites du monde...

Prométhée vagabond m'a beaucoup fait penser au film Justinien Trouvé ou le Bâtard de Dieu, dans cette promenade au cœur d'un siècle que nous propose l'auteur. Traversée non pas horizontale à travers le temps mais bien verticale, où toutes les conditions sociales et les croyances et coutumes sont de mise. Traversée géographique également de l’Europe du 17 iém siècle.Un roman épique, où aventures et évolution initiatique des personnages vont de paire, à l'image du Seigneur des anneaux, de Candide, de L'odyssée ou encore des Voyages d'Ibn Battûta...Véritable anthropodicée de la foi, ici c'est à un voyage intérieur que le lecteur est convié, où les paysages font le même office que les organes intérieurs chez Hildegarde de Bingen... 

Avouons-le, j'ai mis du temps à accrocher l'histoire en elle-même, une quarantaine de pages, correspondant au moment où la rencontre se produit entre Paul et Larpenteur. Pourtant j'ai pris un plaisir énorme dans la lecture dés la première phrase. La raison en est l'écriture d'Alexis David-Marie, simple et pourtant dans le ton de l'époque, bien au-dessus d'un Teulé et flirtant avec un Umberto Eco tant dans la thématique que dans la plume. 

Cela faisait belle-lurette que je n'avait pas tant savourée la langue française, se faisant caressante et chantante comme un petit ruisseau de montagne; évidente. C'est un grand auteur qui est né là. 

La progression de l'action et de l'intensité intellectuelle se fait en pente douce, maitrisée, sans que les barrières ne soient visibles au lecteur.  Bien au contraire, l'on se fait vagabond aux cotés de Paul et de Larpenteur, et bientôt pèlerin de sens, sans s'en être rendu compte. 

Le thème qui m'a paru sous-tendre tout ce roman est la question de la vérité et plus encore de la croyance; à la manière d'un Wittgenstein, peu à peu, la vérité absolue est écartée de même que la croyance dogmatique au profit de vérités et croyances éprouvées dans leurs utilités et applications au quotidien. Loin d'opposer religion et science, ce propos dénonce les croyances aveugles et exhorte à trouver et reconnaitre les vérités qui sont propres à chacun et font le chemin que l'on se trace. Vaste programme dans lequel Paul et Larpenteur se perdront peut-être, en un système autiste vis à vis du monde les entourant... 
C'est donc un roman se plaçant dans le 17iém siècle aux propos éminemment concernants pour les modernes que nous sommes, ayant troquées les superstitions religieuses pour une croyance aveugle en des théories scientifiques...  livre posant les questions principales de la métaphysique que tous les grands mystiques et philosophes ont poursuivit inlassablement au fil des siècles, sans toutefois se faire docte ou pontifiant, Prométhée vagabond ré-ouvre une page de la philosophie quelque peu oubliée de nos jours et pourtant si essentielle (essence-ciel) de nos jours... 

Eternel missionnaire...Il se voyait semer le feu. La conscience est un phénix, songeait-il, il faut la malmener pour la faire renaitre.

En résumé

Les plus :
  • Une écriture sublime,
  • deux personnages touchants et attachants tout en étant porteurs de philosophies opposées stimulantes, 
  • une anthropodicée métaphysique de la croyance et de la vérité.

Les moins :
  •  Un roman méditatif, nécessitant parfois des pauses afin d’intégrer certaines réflexions.

En conclusion

 Un roman méditatif servit par des personnages hauts en couleurs et une écriture magnifique. Un pèlerinage intérieur sur la voix de la vérité et de la croyance qui est propre à chacun...

  Tous deux se savaient membres du peuple de ceux nés deux fois: 
la première par le corps, la deuxième par l'esprit, dans une naissance clandestine, douloureuse, qui leur avait révélé les coutures du monde.


L'article de Ramette

Cités dans cet article 

vendredi 25 juillet 2014

L'empailleur de rêves (Hautes berges, lourdes grumes) de Nikom Rayawa

-Je voudrais pouvoir les empailler vraiment, ces foutues journées, pour qu'elles s’arrêtent une bonne fois, dit-il à Madjane, avant de faire demi-tour et de descendre.
Elle le regarda disparaitre, abasourdie.


Si vous ne lisez que ces lignes;

Une leçon de vie, le long de la Yom, un des quatre principaux affluents du Djâo Praya, fleuve symbole de la Thaïlande. La vie de Cam-Ngaï, tour à tour empailleur, sculpteur, cornac, charrieur de grumes au long du fleuve qui l'a vu naitre et le verra mourir... Une vie s’égrenant au fil du fleuve de la vie et des leçons qu'elle recèle, où l'homme et l'éléphant sont des jumeaux de vie... 

Nikom Rayawa

Né en 1944 à Hat Siao, province de Sukhothai (Thaïlande), Nikom Rayawa a étudié l'économie à l'Université Thammasat de Bangkok, puis dirigé une plantation de palmiers à huile et de cacaotier. 

Très jeune, il s'est fait connaître en publiant des nouvelles et des poèmes. 

Son premier roman, Takouap Kap Koppou L'iguane et la branche pourrie (non traduit en français), paru en 1983 et aussitôt primé par un jury national, rend compte de la réalité du Sud profond dans les turbulentes années 1970-80.

Son roman L'Empailleur de rêves,"Taling Soung Soung Nak", traduit en plusieurs langues, couronné par un jury national dès sa parution en 1984, l'a fait connaître à l'étranger. Son style minimaliste qui contraste avec la tradition thaïlandaise par sa simplicité et son réalisme, fait de lui le premier romancier « bouddhiste occidental ». 

Au cours de ses deux dernières années d'université et pendant trois ans encore, Nikom publiera dans divers magazines une dizaine de nouvelles, qu'il réunira beaucoup plus tard, après son mariage et le succès de son premier roman, en un volume intitulé Kone Bone Tone Maï (L'Homme dans l'arbre), qui sera primé.

Pour moi, écrire, c'est aller à l'essentiel, sans fioritures. J’essaie d’écrire serré, d’éliminer toutes les phrases inutiles. 

  
Le pitch

Cam-Ngaï est né à dans un village au bord de la Yom. Entouré de son ami Boun Hân et de Plaïssoute son éléphant, il a grandit en pensant qu'ils ne seraient jamais séparés... Mais la vie, son pére et le Vieux qui emploie tout le monde au village en ont décidé autrement...

La vie à passé, et Cam-Ngaï s'est marié à Madjane et ensemble ils ont eu un petit garçon nommé Air. Construisant son foyer, il garde de loin en loin un oeil sur Plaïssoute. C'est décidé: un jour, il rachètera son éléphant. Le prenant peu au sérieux, le Vieux  accepte de lui vendre Plaïssoute contre une sculpture grandeur nature d'un éléphant. 

Au grès de sa vie, en apparence douce, Cam-Ngaï livre ses errances, ses espoirs et ses réflexions profondes emplies de logiques paysanne...

En un style épuré et méditatif, faussement simpliste, Nikom Rayawa nous livre un roman aux croisements d'Une vie de Maupassant et de Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier...  

A chacun son propre éléphant, se dit-il. A chacun sa propre sculpture. Nul ne peut la sculpter à la place d'un autre. 

Ce que j'en ai pensé

 A l'image des méandres de la rivière, de ses eaux douces ou tumultueuses, la vie de Cam-Ngaï s'écoule, tantôt paisiblement, tantôt violemment. Peau contre peau, même séparés, l'homme et l'éléphant partagent leur destin, courbes parallèles.

C'est une leçon de bouddhisme que nous livre ici Nikom Rayawa par le beau, le violent et le simple. Chaque expérience de vie est un terreau propice au héro de L'empailleur de rêves. Petits ou grands, les moments de vie ne prennent finalement toute leur ampleur que quand coeur et tête travaillent à l'unisson. 

A l'image d'un cours d'eau, le temps y fait des détours, semble parfois identique pour se révéler différent... Comme la riviére posée dans le paysage, l'histoire commence en un point vague, et se termine par un débordement de son lit: crue et décrue s'enchainent, et l'homme pareil à la bille de bois flotte ou se laisse haler. 

Une écriture épurée certes, mais servant un fond infiniment plus complexe où, comme en un haïku, la trivialité cache et mène tout à la fois aux reflets de l'âme. A l'image d'un Petit prince, il y a là une naïveté dans l'écriture qui recèle des joyaux de bon sens. 

Première expérience de la littérature thaïlandaise pour ma part, je ne peut témoigner d'une complexité généralisée chez les compatriotes de Nikom Rayawa. Pourtant je connais ce pays, du moins autant que faire se peut en 1 ans là-bas toutes périodes mises bout-à-bout...

C'est un pays de boue et d'eau, de sourires, de courage et d'abnégation aussi. Plaïssoute possède certainement ces beaux yeux gris emplis de sagesse des éléphants de cet ailleurs. Mais sortis du dépaysement, le chemin de vie reste: roman initiatique, il cache sous les frondaisons de la jungle nord-thaïlandaise une envie de comprendre le sens de la vie propre à tous les humains. Roman humaniste dans toute son acception, il y a un gout de Germinal au bétel, un relent de Contemplations à la Victor Hugo...

En effet, ce roman n'a pas pour but d'épancher les baroudeurs en mal d'exotisme ou d’appâter l'hypothétique touriste: point de pagodes, de bonzes en robes safrans, de lady-boys ou de tuk-tuks. Le périmètre se confinant au village et à la rivière, lesT intins en herbe seraient vite frustrés... Si tel est votre cas, passez votre chemins et rabattez-vous sur un guide du routard !

Entre complicité joyeuse ou face aux injustices de la vie, parfois avec des luttes presque pathétiques, Plaïssoute et Cam-Ngaï sont les reflets du vieux et de son espadon du Viel homme et la mer:  seuls eux comprennent l'absurdité de l'existence et perçoivent la tragédie de toute fin de vie.

Cam-Ngaï, âme de poète, se pensant tour-à tour poisson, oiseau, morceau de bois, éléphant ou carcasse défriche des chemins de réflexion pour le lecteur; s'y engage qui veut... Devant autant de densité pour un si petit volume, l'on comprend que Nikom Rayawa ait mis du temps à en accoucher; peaufinant le livret et tentant d'y insuffler autant de vie que possible, à l'image de l'éléphant de bois de Cam-Ngaï. 

Enfance, couple, parentalité; chaque partie de sa vie semble se laisser sculpter et épurer par un maillet dont nul mortel ne connait le but. 

La postface de Marcel Barang (barang ou farang signifiant "blanc" ou "occidental" en Asie du sud-est), instructive et bien écrite vient terminer le roman en un prolongement plus intellectuel et émotionnel quand le livre relève des sens et de l'intuition émanant des vagabondage de l'esprit. 

Une seule injonction: prenez donc ce radeau, où qu'il vous porte; la vie de Cam-Ngaï vous tend les bras !

Elle s’affaira ainsi pendant de longues journées avant de se résigner à finir une bonne fois le panier, dont l'anse et le couvercle étaient ornés de motifs décoratifs. Elle le montra à Cam-Ngaï en souriant.
- Qu'est ce que tu vas mettre dedans ? demanda-t-il.
- Du brouillard. 
 

En résumé

Les plus :
  • Une écriture simple, pleine de poésie,
  • une belle histoire d'amitié entre un homme et un éléphant, 
  • un roman initiatique profond sur le sens de la vie. 
Les moins :
  •  Un dépaysement certainement décevant pour les globe-trotters en herbe,
  • des logiques des personnages pouvant être parfois heurtantes car de culture différentes (Notamment les réactions vis-à-vis de Air). 

En conclusion

Un roman semblant léger mais plein de profondeur, récit initiatique entre Plaïssoute l'éléphant, Cam-Ngaï et la rivière Yom. Une entrée dans la pensée bouddhiste sans fioritures. 

Air fait partie de moi, pensa-t-il, comme je fait partie d'Air. Et Madjane aussi. Nous trois, on forme un tout inséparable. Personne n'est heureux ou malheureux tout seul. Le bonheur, le malheur de chacun affecte aussi les autres. Tout être humain a des liens invisibles avec les autres. Je ne suis pas que moi. Plaïssoute n'est pas que Plaïssoute. Je suis en lui et il vit en moi.  

Cités dans cet article