mercredi 23 juillet 2014

Nouilles froides à Pyongyang de Jean-Luc Coatlem

L'empire des Kim reste une contrée de paranoïaques, minée par ses mensonges, maintenue vaille que vaille par ses sujets-victimes, en respiration artificielle. 


Si vous ne lisez que ces lignes;

Une plongée dans une version de la Corée du nord qui se veut touristique mais surtout idéologique au travers des yeux d'un journaliste baroudeur français. Oppressant,  instructif, effrayant bien que cela ne soit certainement que la partie la plus présentable de l'iceberg... 


Jean-Luc Coatalem

Fils d'un lieutenant-colonel du génie dans la Coloniale, Jean-Luc Coatalem passe son enfance à travers quatorze établissements scolaires différents au gré des affectations de son père, de l'Indonésie à Tahiti. C'est là que la lecture de Stevenson l'ouvre à l'écriture. Adolescent à Madagascar, il compose des poèmes en s'imprégnant de Rimbaud, Cendrars ou Somerset Maugham. Les déménagements incessants lui donnent le goût de l’ailleurs et le rendront boulimique de voyages et de reportages.

Revenu à Paris, il passe d'éditeur féru de Léon Werth, Paul Morand, Gontran de Poncins et autre Segalen, a reporter sur les traces de Francisco Coloane, Nicolas Bouvier ou Ella Maillart pour Grands Reportages, le Figaro magazine et Géo, qui lui ouvre un poste de rédacteur en chef adjoint. Il explore près de quatre vingt pays, « à pied, à cheval, en ULM et en brise-glaces ». Parvenant à la trentaine, cet écrivain-voyageur, romancier, nouvelliste et essayiste pour qui « tous les voyages finissent en livres et tout part d'une lecture », publie ses récits bourlingueurs et collabore à l'adaptation en bande dessinée de deux de ses nouvelles par le dessinateur Loustal.

En 1992, il est avec Nicolas Bouvier et Gilles Lapouge l'un des neuf signataires du Manifeste pour une littérature voyageuse publié sous l'égide de Michel Le Bris. En 2001, Je suis dans les mers du Sud, essai très personnel qu'il tire d'une enquête sur Paul Gauguin, est distingué par de nombreux prix, dont le Prix Breizh 2002 et est traduit en anglais et en chinois. Il confirme sa notoriété deux ans plus tard par une ode à la géographie et à l’errance, La consolation des voyages. Il faut se quitter déjà, paru en 2008, est un récit mélancolique d'une non passion amoureuse divaguant entre Buenos Aires et Montevideo. Le Dernier roi d'Angkor, inspiré de la difficile adoption d'un orphelin cambodgien, évoque l'indicible déchirure d'avec un passé aboli.

Prix des lecteurs 2014, Nouilles froides à Pyongyang est son dernier ouvrage paru à ce jour. 

Le pitch

Nul n'entre ni ne sort de Corée du nord, le pays le plus secret de la planète. Et pourtant, flanqué de son ami Clorinde, qui affectionne davantage Valéry Larbaud que les voyages modernes, et déguisé en vrai-faux représentant d'une agence de tourisme, notre écrivain nous emmène cette fois sur un ton décalé au pays des Kim. 

Au programme : défilés et cérémonies, propagande tous azimuts, bains de boue et fermes modèles, mais aussi errances campagnardes et crises de mélancolie sur les fleuves et sur les lacs, bref l'endroit autant que l'envers de ce pays clos mais fissuré. Un journal de voyage, attentif mais distant, amusé parfois, jamais dupe, dans ce royaume énigmatique dont un diplomate américain affirmait récemment que l'on en savait moins sur lui que sur... nos galaxies lointaines.

 La Corée du Nord s’est arc-boutée sur ses principes et n’a pas changé 
 envers ceux qu’elle appelle « les salauds ». 
Cachée derrière ses murailles et sa doctrine, le pays s’est autoverrouillé, assujettissant le peuple à un délire et à un culte de la personnalité exponentiels. Chaque citoyen serait réparti dans l’une des trois classes; les « durs », les « hésitants », et les « hostiles ». 


Ce que j'en ai pensé

Certes, la réalité racontée ici est monstrueuse, et pour qui douterait que l'humain est bien capable de mettre en place un régime à la 1984, cela serait un tremblement de terre dans sa réalité.  Pour ma part, j'ai partagé la frustration de l'auteur tout du long de ne pas avoir eu accès à la vraie Corée du nord; celle derrière le carton pâte idéologique. 

Sentiment de perdition de soi  très bien retranscrit, perte de repéres et de son ethnos, Jean-Luc Coatalem donne un bon aperçu de cette maxime;  tout voyage est une perte de soi et de ses repères. Ici c'est un néant engloutissant qui menace l'identité à chaque couplet recraché par les hauts-parleurs disséminés sur la lande morne par le parti... 

Une visite imposée par des guides-otages de leur pays, un gavage idéologique en bonne et due forme, une expérience à la pointe du lavage de cerveau posant la question de savoir combien de temps il faudrait aux kim pour laver de toutes leurs idées dangereuses les cerveaux malades occidentaux... Bref: un aperçu du pays que retraduisent déjà fort bien les défilés militaires et portraits bariolés des kim...  

Pour avoir trainer mes guêtres au Cambodge, pays sortant à peine d'une dictature déguisée, je connais la peur de parler de l’autochtone et les traces que peuvent laisser les monstres humains trois générations plus tard. Je ne peux qu'imaginer la terreur hébétée des populations nord coréennes et la conscience de l'auteur de la mise en danger pour eux qu'aurait put être toute tentative de  communications avec ceux qu'il appelle "les ombres". Bien sottement, j'espérai trouver dans ce livre une petite phrase relevant du vécu des opprimés, un sourire complice, un geste semblant anodin mais plein de sens dans un contexte de répression totale... Égoïsme de celle qui vie dans une société non répressive...  

Je souhaitais également en apprendre plus sur la Corée du nord au travers de cet ouvrage, n'étant pas une spécialiste mais lisant régulièrement les articles paraissant sur ce sujet. Au final, mis à par quelques points de détails, je n'en ai pas appris beaucoup plus... De par ma formation universitaire en sciences-sociales, j'ai acquis une sorte de méfiance vis-à-vis de la subjectivité du vécu, du ressenti. Il m'a été difficile de me plonger dans ce récit de voyage, l'écrivain partant sur des a-priori, (mais qui n'en aurait pas ?),  et semblant jouer le candide tout au long de son récit... 

En sus, malheureusement, il y a pour moi trop de conscience politique dans cet ouvrage pour me laisser la place d'y former mon propre avis. J'ai cependant conscience que cela n'est du qu'a une préférence de choix narratifs plutôt qu'a un défaut de l'ouvrage à proprement parler. 

Lecture difficile donc, trois ou quatre pages à la fois, et force est de constater que si le désir de Coatalem était de retranscrire la répression et l'enferment intellectuel et émotionnel que lui ont fait vivre ses "guides" cela a parfaitement fonctionner sur moi !  A l'image de La vague de Todd Strasser qui démontrait parfaitement la mise en place d'une idéologie fasciste, Nouille froides à Pyongyang immerge le lecteur dans la machine à laver d'une dictature: décoloration garantie au bout de trois générations de régime spécial Kim...

Cependant, je ne peux qu'y voir des points de similitude avec Un anthropologue en déroute de Nigel Barley, et me demander quelles sont les moments où l’étranger se sent floué, moqué, sans qu'il n'y en ai eu la volonté de l'autre partie ? A partir de quel moment la paranoïa due à l'isolement du voyageur est-elle de mise ? Et, enfin, quelles sont les incompréhensions culturelles ayant émaillé cette expérience ? 

Le placement de Jean-Luc Coatalem  est difficilement lisible sur ces différents points; s'il n'est pas un simple touriste il est cependant un voyageur expérimenté, et s'il n'est pas un anthropologue il est cependant un journaliste habitué aux retours sur soi et à la mise à distance de ses prénotions culturelles... 

Au vue du nombre d'ouvrages sur la Corée du nord par des journalistes l'on pourrait songer à un exercice de style; Au pays du grand mensonge de Phillipe Grangereau (journaliste à Libération), Vies ordinaires en Corée du nord de Barbara Demick (ancienne dirctrice du Los Angeles Times), Corée du Nord, Etat voyou de Pierre Rigoulot (rédacteur en chef des Cahiers d'histoire sociale), Famine en Corée du nord de Jasper Becker (spécialiste de l'Asie pour la BBC), et l'on pourrait continuer la liste ainsi pour une dizaine d'ouvrages. 

Vieux mythe journalistique, chacun porte en lui le désir d'être le nouveau Sydney Schanberg dont l'histoire se souviendra... Certes, l''un des aspects du travail journalistique est la mise en lumière de faits que l'humanité ne peux pas choisir de simplement ignorer, gageons donc que c'est au nom de cette grande idée que ces messieurs dames font tant d'ouvrages sur la Corée du nord...

Plongée en apnée dans le régime des kim, Nouilles froides à Pyongyang à cependant le mérite de réveiller les foules sur le sort des damnés de la Corée du nord... Emaillé d'informations relevant de la géopolitique, de l'humanitaire et du fatras idéologique dont les Kim abreuvent leurs ouailles, Nouilles froides à Pyongyang m'a paru être un long article journalistique, un récit de grand-reporter en zone de guerre larvée, comportant quelques passages introspectifs ou culturels, sans pour autant être un objet littéraire à proprement parler. 

Il faut perdre ses réflexes visuels et ses habitudes citadines. Impossible de trouver un café, un restaurant, des boutiques, un panneau de publicité, des enseignes de magasins, des terrasses de café, des kiosques à journaux, il n'y en a pas — les rues sont râpées et nues.


En résumé

Les plus :
  • Un bon topo sur la situation politique, géopolitique, humanitaire, économique et militaire de la Corée du nord,
  •  un trés bon aperçut du carcan ouaté idéologique dans lequel les nord coréens sont maintenus,
  •  un livre qui se lit comme un manifeste pour la liberté de penser et le droit à la diversité.
Les moins :
  • Un placement flou de l'écrivain-journaliste qui permet peu de mise en perspective dans l'expérience du lecteur,
  • un récit de voyage au pays des hauts-parleurs de plus dans la marée d'ouvrages faits par des journalistes...

En conclusion

Un bon ouvrage liant données récentes et intéressantes sur la situation actuelle de la Corée du nord et l'expérience d'une plongée hallucinée dans le carcan idéologique des kim. Certes un récit journalistique de plus sur cette partie du monde, mais une mise en lumière salutaire dans un réseau d'informations allant trop vite et favorisant les coups d'éclats aux souffrances humaines s'étalant dans le temps.


Cités dans cet article 



 
Pour aller un peu plus loin :




propagande Nord Coréenne
les trois Kim Kim Il-sung, Kim Jong-il et Kim Jong-un.


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