mercredi 8 octobre 2014

Le clan suspendu de Etienne Guéreau


C'est par le biais de ce trajet mental tortueux qu'Ismène, à sa plus grande surprise, aboutit au paradoxe suivant : L'ogresse nous a protégés ! 
Restait à savoir de qui ou de quoi.

 

Si vous ne lisez que ces lignes;


Une dystopie originale, sur fond de rêverie écologiste mêlée de tragédie grecque... émaillé de morceaux d'Antigone de Sophocle cités tels des palabres, l'on y suit les aventures et réflexions d'Isméne, une jeune-femme en devenir de 12ans. Au sortir de l'enfance, elle construit avec courage sa réflexion politique et sociale alors que, déjà, s'approche le passage à un nouveau rôle, car bientôt elle entrera dans la vie adulte et devra s'appareiller....

Une fois encore, elle avait la détestable impression de n'être qu'un jouet, une poupée de bois tendre que l'on agite ici ou là, une bête docile à qui l'on commande. Il était clair que la première génération avait arrêté sa décision, qu'elle allait devenir un instrument entre leurs mains revanchardes, un simple outil dont on se servirait le moment opportun, voire, que l'on sacrifierait...

 Étienne Guéreau


Né à Vannes en 1977, Etienne Guéreau grandit essentiellement à Paris et en région parisienne. Inscrit très jeune au conservatoire, il découvre le répertoire classique, mais aussi le jazz qu’il étudie dans une école privée. Sous l’égide de son directeur, il compose et participe à la rédaction de plusieurs piges pour le magazine Keyboard, et dès 1989, il donne ses premiers concerts au New Morning et à l’Européen.
 
Bac en poche, il s’inscrit en philosophie à Tolbiac, passe ses derniers examens de conservatoire et commence le "métier". C’est également à cette époque qu’il fait la connaissance de Bernard Maury, professeur qui bouleverse son parcours musical en lui faisant découvrir Bill Evans et des concepts originaux.

À partir de la fin des années 90, Étienne publie des recueils et des ouvrages pédagogiques. Pour élargir ses horizons, il étudie le chant et s’essaye à de nouveaux styles. Grâce à cette polyvalence, il est appelé auprès de différents artistes qui apprécient ses compétences d’arrangeur et d’accompagnateur.

Il sort un premier disque en 2005, Influences — qui lui vaut d’être remarqué par Clare Fischer —, puis un deuxième en 2009, À l’Orient de Rio. Professeur au sein de la Bill Evans Piano Academy, il perpétue la tradition harmonique de son fondateur.

Enfant unique et sensiblement métissé (Bari dans les Pouilles, Paris, Ajaccio), petit ogre de lecture dévorant la littérature blanche ou noire, les essais, les biographies, les manuels d’histoire ou les méthodes de langue, Étienne se forge un imaginaire débridé ; adulte solitaire et viscéralement créatif, il participe à plusieurs concours de nouvelles, rédige des articles, écrit des chansons, couche ses premiers souvenirs sur le papier, tient un blog, puis propose un texte long aux éditions Denoël, qui s’enthousiasment et le publient.

Aujourd’hui, Étienne partage son temps entre l’écriture, la scène et l’enseignement. Il achève actuellement la rédaction d’une méthode d’harmonie et prépare un nouveau roman.


Le pitch  
  
Un clan haut perché dans les bois. Un ennemi étrange. Seule une jeune fille osera désobéir afin d’échapper à son destin.

Ismène vit parmi les siens, dans un village accroché à dix mètres de hauteur. Tous pratiquent des rites immuables et répètent inlassablement Antigone, la tragédie qu’il leur faut connaître sur le bout des doigts.

Descendre leur est interdit, car en bas une créature sanguinaire massacre ceux qui s’aventurent sur son territoire…

Quand le jeune Hémon décide de contester l’ordre établi, tout bascule. Pour fuir cet univers oppressant et comprendre le sens profond de la tradition qui leur a été inculquée, Ismène va devoir percer le secret qui menace son clan. 

480 pages de suspense haletant,  une couverture superbe, un bel objet-livre tant dans la forme que dans le fond.  La présentation de l'auteur en vidéo c'est par ici

- si tu cherches, sois persuadé que tu finiras toujours par trouver ! Tu trouveras les ferments d'un complot dans chaque foyer ! Oui, tu trouveras les félons qui se dissimulent ici ou là ! Tu les trouveras. Puis tu les puniras. Jusqu’au dernier. Mais ainsi... personne ne t'aimera. Jamais. Or, souviens-toi : "S'il manque à la loi juste de la patrie auguste, méprisons ce vainqueur, et, si grand qu'il puisse être, bannissons ce vil maître du foyer et du cœur !" 
-Je n'ai pas besoin de leur amour....,fit-il avec dédain.
La crainte me suffit.
 

Ce que j'en ai pensé


Proche d'un conte, Le clan suspendu pourrait être présenté ainsi ; il était une fois, dans une forêt non-loin, un clan qui vivait suspendu dans les arbres et qui ne descendait jamais au sol par peur de l'ogresse...

Une fois la fascination passée, les cabanes et les passerelles de bois découvertes, les rites et les rôles de chaque habitant compris, restent les dysfonctionnements de toute société vus par la nouvelle génération agissante. Mais, telle la peur de l'inconnu, par-fou supplémentaire, il y a Anne l'ogresse qui vie dans les sous-bois, et qui dévore toute personne asses folle (ou démunie) pour s'y aventurer. 

Reste qu'Isméne  se sent étouffée par cette société en vase clos et remet en question les évolutions qu'elle y voit percer; l'intégrisme religieux, la tyrannie, l'abandon des savoirs qui se perdent dans la mémoire des plus anciens, ainsi que par les limites étriquées d'un monde qu'elle sait si proche mais qui lui reste inconnu.

Jeune-fille sensée et équilibrée, Ismène est, tels les héros classiques de la mythologie grecque, celle qui se devra de suivre son destin qui est d'éclairer les ombres que chacun prend pour des monstres, celle qui ira couper la tête à la gorgone qui terrorise et délimite son monde. Jason ou Ulysse du clan suspendu, Ismène, habitée par la nikè propre aux héros bénis par la sagesse et l'intuition d'Athéna, défrichera d'autres champs possibles pour sa société.

Profondément psychanalytique, comme toute anthropodicée, ce roman réussit à merveille le pari étrange et pourtant rafraichissant, de se situer à la frontière du roman d'aventure et du conte mythologique. Tous les éléments y sont présents et s'y articulent à merveille, produisant un texte original définissant un nouveau cadre stylistique à lui-seul, dans la droite lignée d'Un visage pour l’éternité de C.S Lewis.  

Ainsi, ce texte est lisible à divers niveaux de compréhension; celui de l'aventure certes, mais également celui de la construction du moi social et politique, ainsi que celui du passage à l’âge adulte d'une jeune-fille tiraillée entre les divers modèles d'abnégations sociales que sont sa mère et ses amies,  celui de la cuisinière, mère nourricière,  de ceux qui croient savoir mais qui se perdent dans les méandres et limites de la mémoire et de l'apprentissage telle Louise, et, bien-sûr, celui de la terrible ogresse Anne. Pour ma part, j'y ai trouvé la même construction soigneuse que celui d'un conte qui pourrait certainement figurer dans les exemples cités par Clarissa Pinkola Estés. 

Construite avec le même soin qu'une monographie ethnologique, la société présentée par Étienne Guéreau est en soi, un personnage. Passionnante, exotique parfois, décentrant certainement le lecteur de son propre référentiel, elle est à la fois un premier cadre du récit et un être vivant, en pleine mutation, pétrie de confrontations entre l'existant et ce qui est en construction, car toute société se figeant est vouée à s'atrophier. 

C'est également avec la même intelligence que sont proposés les différents protagonistes du récit; chacun procède d'un archétype de pensée et de modes d’existences au monde qui leurs sont propres, formant un catalogue exhaustif de l'humanité, se combinant à souhait pour proposer des remous dans ce qui forme société. Du palabre ritualisé aux folies humaines, de la constructions de la société à la folie cathartique rappelant les bacchanales... A la façon d'un Bordage, chaque personnage interagit avec ses semblables, chaque actions entrainant des réactions dans la toile sociale.

Personnage éminemment grecque également dans sa construction, la forêt, l'espace sylvestre, en opposition avec la cité perçue comme une île dans la psyché grecque antique, est également un  cadre d'action et tout à la fois un personnage: Anne l’ogresse en étant son visage. Opposable au couple formé par le vieux Claude et le Suspend, la cité suspendue, ces deux couples forment les deux extrêmes du monde connu par cette humanité-là. Restent peut-être les enfers, quels qu'ils soient, multiples, de la vie en société, des peurs ou des folies humaines.

Nombre de critiques ont comparé Le clan suspendu avec une autre dystopie; La forêt des damnés. Par chance j'ai lu les deux ouvrages et, si je ne peux nier que le récit de Carrie Ryan m'a bien plus tenue en haleine, là s'arrête sa supériorité. En effet, il existe une profondeur, une dimension du mythe qui transcende le situationnel et touche à des modèles sociaux et psychologiques dans Le clan suspendu, quand la comparaison entre ces deux ouvrages s'arrête au situationnel angoissant d'une forêt dangereuse et d'une société isolée du reste du monde qui n'existe peut-être plus. 

Ainsi, c'est un roman d'aventure, servit par un fond riche et réfléchit, qu’Étienne Guéreau nous propose ici. Loin de la prise de tête intellectuelle que pourrait indiquer, à tort, ma critique, ce roman est une distraction avant tout, permettant également à ceux qui s'y intéresseraient une analyse plus profonde. 

Un renouveau du roman dystopique et d'aventure; quelle bonne nouvelle ! Souhaitons que cette nouvelle vague ne s'arrête pas en chemin et ne se brise pas sur les écueils des trop nombreuses publications américaines vides de sens...  
 
On se croit très fort ... on se croit prêt, mais tant qu'on n'est pas devant le danger, on ne sait pas ce qu'on vaut. Tu comprends ? Le courage, ça se mesure dans l'action, dans le danger...

 

En résumé... 

Les plus;
  • Un  univers original au fonctionnement bien construit,
  • des personnages  défendant tous des modes de faire et penser intéressants,
  •  un récit rondement mené et tenant en haleine du début à la fin,
  • une héroine attachante et passionnante,
  • des niveaux de lectures variés permettant à chacun d'y trouver de quoi nourrir son envie du moment.
 Les moins
  • Un récit peut-être parfois dur, certainement non adapté aux plus jeunes,
  • une fin laissant le choix au lecteur qui pourrait en frustrer certains.

En conclusion;

Une petite merveille made in France qui apporte un souffle nouveau au genre dystopique, un supplément d'âme puisé dans les racines grecques et mythologiques. 
Roman d'aventure épique, dont le héro principal est une jeune-fille, Le clan suspendu est une des bonnes surprises de cette rentrée littéraire.  
laissez-vous entrainer dans le Suspend: vous n'en serez certainement pas déçu ! 

cités dans cet article

 




 

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