jeudi 4 décembre 2014

L'éclaireur d'Isabelle Vouin

 Tous ceux qui l'ont porté ont été des poètes remarquables. Il sert à trancher les ténèbres pour ouvrir le chemin de la lumière. C'est le poignard de "l’Éclaireur".


Si vous ne lisez que ces lignes;

Un récit sur le courage d'être soi, la force de la poésie mais aussi sur l'Afrique. Avec la force d'un griot, Isabelle Vouin nous livre l'âme parlée, chantée ou murmurée d'un enfant d'Afrique, traversant la guerre et ses conséquences, porteur de son propre destin mais aussi d'une mémoire aussi précieuse qu'une gorgée d'eau au creux des mains...  

Isabelle Vouin

 Ethno-historienne, Isabelle VOUIN-BIGOT a vécu plusieurs années au Kenya. Professeur d'histoire géographie au Lycée français de Nairobi, elle a également passé de nombreux moments avec les Maasaï.

Elle a parcouru la Corne de l'Afrique (Ethiopie, Tanzanie, frontière somalie) dans le cadre d'une recherche de doctorat sur le Khat. Elle également partagé la vie des personnels humanitaires dans les camps de réfugiés somalis au Nord du Kenya.

De ses rencontres elle a ramené des aquarelles et des textes en prose jetés sur des carnets.

Après avoir séjourné en Thaïlande et à la frontière birmane au sein de l'ethnie Karen, elle a vécu deux ans à Paris où elle enseignait dans une école bilingue.

Elle a finalement posé ses valises à Montpellier où elle enseigne toujours l'histoire et la géographie, peint et écrit des romans.

L’Éclaireur, qu'elle signe aux Éditions du jasmin, est son deuxième roman, après Leyian : Frère de rêve en Terre Maasaï

 Le pitch

Combattre avec les mots ? Combattre avec les armes ? Tel est le terrible dilemme qui se pose au jeune Aman. 

Lui qui a hérité du don de conter, va-t-il, comme son grand père, devenir l’Éclaireur, le poète qui perpétue la mémoire de son peuple ? 

Alors que la guerre civile fait rage en Somalie, Aman est contraint de rejoindre Mogadiscio. Enrôlé dans une milice, il réalise son rêve, combattre. Mais est-ce là son véritable destin ? 

Aman nous raconte son chemin, un chemin entre ombre et lumière, une histoire de puits asséchés et d’océan, de descente en enfer et de rires, de solitude et d’amitié, de mort et d’amour, de désolation et d’espoir.

Il faut laisser le temps à l'espoir  de retrouver son chemin dans les dédales de cette folie naissante. On ne peut pas perdre tout, d'un seul coup, et faire comme si de rien n'était. Il faut écouter cette voix familière qui reste le seul lien avec avec ce passé qui vient de s'évanouir. Écouter la voix de Haruni, la voix de l’Éclaireur. 

Ce que j'en ai pensé

Classé roman jeunesse, j'ai trouvé L’Éclaireur bien plus porteur de sens et de poésie que nombre d'ouvrages pour adultes. C'est avec la même puissance qu'un récit oral qu'Isabelle Vouin nous  conte l'histoire d'Aman, tour à tour enfant nomade, soldat et poète, traversant son pays comme en quête de lui-même. Poétique de la simplicité, la plume de cette auteure semble être faite du même bois que celle d'Andrée Chedid et des griots... 

Rythmée par la marche ou la mastication du khat, il y a du chant africain, de la transe même par moments dans cette écriture. S'y ajoutent les pulsations du cœur ivre de vivre de ce jeune garçon qui peux-à-peux devient un homme, porté par les souffles de ses ancêtres, d'êtres lumineux rencontrés, mais aussi par une foi en la vie inébranlable. 

Chaque personnage secondaire, porteur de ses vérités et raisons d'agir et de choisir tel ou tel combat, permet au lecteur au travers d'Aman de mené en arrière plan une méditation sur les conflits et les solutions qui nous sont possibles, tant au niveau d'une nation qu'au niveau individuel. 

Voici donc Aman, petit-fils d'Haruni, poète reconnu dans tout le pays. Voici l'histoire d'un héritage compliqué: celui du don des mots, de ceux qui viennent des racines de la mémoire et savent retranscrire le chant des âmes. Mais les mots peuvent-ils plus que les balles dans un pays dévasté par la guerre ? 

Rappelant les grands poètes africains,  tels Léopold Sédar Senghor,  Clémentine Faïk-N'Zuji, Pierette Kanzie et tant d'autres, L’Éclaireur se situe au cœur d'une tradition littéraire africaine ayant trouvé comme meilleure forme la poétique. Ainsi, il est possible tout du long du récit, de percevoir les éclats de joie et de beauté qui résident toujours au cœur des plus noirs événements. Pour Aman, ce sont ses proches, sa famille, son ami Ali, mais aussi la trés belle Nahia, gorgée d'eau dans ce désert fou.

Aman connaitra au fur-à-mesure du récit de nombreuses pertes, mais aussi des rencontres fécondent de sens, transformant en apprentissage chaque parole reçues. Loin de la douceur de ton que l'on pourrait attendre d'un récit jeunesse, l'histoire d'Aman comprend tout ce qu'un pays africain peut traversé de misères dans la guerre. Reste qu'Isabelle Vouin se dédouane du misérabilisme condescendant qui est souvent usité pour parler de l'Afrique et signe là un roman poignant et intelligent sans jamais tombé dans un pathos facile.

Aman, condensé d'un peuple fière et lucide,  lutte et cherche les meilleures armes pour sauver un pays qu'il aime. Des plaines désertiques de son enfance à la blanche capitale trouée de toute part, des femmes de sa famille aux femmes lumineuses qu'il rencontrera,  des guerriers fiers de son clan aux soldats amis qu'il choisira un temps, Aman, dont le nom signifie paix, est un pont entre les diverses réalités et questionnements de son peuple. Mais avant de devenir l’Éclaireur il devra trouver en lui, comprendre et accepter le chemin des mots. 

Le regard gris de Marzia entre en moi avec une intensité que je ne lui connaissais pas.
-Quand tu auras tenu une arme, Aman, quand tu auras tué des hommes, quand tu verras autour de toi s'écrouler ta vie, la Vie, tu auras envie de brûler toutes les armes et tu chercheras le pouvoir des mots pour faire renaître l'espoir et la lumière dans le regard mort de tes semblables.


En résumé... 

Les plus;
  • Un récit poignant autour d'un personnage touchant et sensible,
  • des personnages secondaires riches et  aux psychologies variées,
  • une vision de l’Afrique loin de tout misérabilisme,
  • une écriture ayant la puissance de l'oralité,
  • Une histoire parlant de la force de la poésie écrite avec poésie,
  • Une illustration de couverture et un choix de format servant à merveille le contenu.
 Les moins; 
  • Je n'en voit aucun, hormis peut-être son classement en littérature jeunesse que je trouve réducteur...

En conclusion;

 Roman de l'oralité totalement réussit, emplit de poésie, de joie de vivre et de leçons de vie, ce roman initiatique d'un jeune homme nommé comme la paix, est un doux chant d'amour pour l’Afrique sans mièvrerie aucune. Il serait dommage de le cantonné aux rayonnages jeunesses...
 
Peux-tu faire entrer le vent dans cette outre ?
- Non !
-En effet. De la même manière ton esprit d'homme est trop étroit pour y faire rentrer l’Éternel.   La poésie, la musique, la prière, le silence sont les moyens de communiquer avec Lui.


 cités dans cet article

A Gina ma mère,
A celle
Qui ne cesse de pleurer un fils unique.
Mère,
Le cœur du désespoir
Sort du philosophe.
Mère,
La Mort
Est un terme de la vie,
Et ne marque
Qu'un terme de la vie.
Mère,
La haine
Se conjugue au présent;
L'adversité
Est une constance du temps,
Et l'oubli,
La grandeur des hommes.

Les Tombes qui pleurent. Ouagadougou: Imprimerie nouvelle du centre, 1987. (61p.). Poésie. 
 

Pour aller plus loin

Livre cd : pour en savoir plus c'est par ici.





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