mercredi 17 décembre 2014

Saving Joseph de Laurent Clerc

En revanche, Joseph trouve qu’il y a trop de visiteurs. Même si Marie est en pleine forme, il veille à ce qu’ils ne la fatiguent pas trop. Il chasse aussi les moutons à coups de pied et règle la tête  du bœuf pour que son souffle réchauffe le petit. Tout va bien. Il est ravi.


Si vous ne lisez que ces lignes;


Un roman léger et drôle traitant de la place des hommes dans les couples.  Parfois grinçant, toujours irrévérencieux, Saving Joseph est un délice littéraire divertissant à souhait, emplit de formules fulgurantes, où les apparences sont souvent trompeuses.

Noël, en souterrain, est une fête d’eunuques. 


Laurent Clerc


Laurent Clerc travaille en entreprise et mène une carrière dans le secteur audiovisuel, coté finances. Né dans la Nièvre, il vit à Paris.

Père de trois enfants, à quarante-quatre ans il publie Saving Joseph (2014), son premier roman aux éditions Denoël.


J’ouvre les yeux. Vue par en dessous, la mousse ressemble à un champ de perles traversées de rayons lumineux. C’est l’éblouissement qui me donne envie de pleurer.


Le pitch


Être un homme aujourd’hui, qu’est-ce que c’est? Trouver sa niche et s’y terrer? 

La quarantaine, crâne dégarni et mal dans son couple (sans lien de cause à effet), le héros est un type sans histoire. Mais, le jour où il se retrouve dans une chapelle à l’approche de Noël, lui qui ne met plus les pieds à l’église, sa vie bascule. Alors que tout le monde est en adoration devant la Vierge Marie, le héros prend le parti de Joseph : père adoptif contre son gré, sommé de fermer les yeux sur cette grossesse suspecte et relégué au rang de figurant de la crèche, c’est lui le pigeon de l’histoire! 

Tandis qu’il tente de reconquérir sa compagne par des moyens plus ou moins judicieux, le héros entame un dialogue fantasmé avec Joseph qui le mènera sur les chemins les plus vertueux… et les plus sulfureux. 

Avec humour et fantaisie, Laurent Clerc signe la chronique drôle et moderne d’un homme de tous les jours pris dans les contradictions de la société. 


Elle ne porte pas exactement le même tailleur strict que les autres. Le sien est plus clair, faisant ressortir son teint hâlé. Il y a peut-être des niveaux, comme au judo. Plus l’uniforme est sombre, plus la nonne est expérimentée. Pas en technique de combat, mais en spiritualité.


Ce que j'en ai pensé


Comment ne pas se sentir émasculé par cet écran géant de télévision ayant transformé son salon en aquarium cathodique et servant de fuite pour sa compagne ?

Paul en est là de sa vie de couple, tentant de communiquer et de relancer la flamme de leur amour sans déranger les docteurs, avocats et autres héros de séries américaines accaparant sa compagne et son espace de vie… Reclus à la chambre et au silence de ses livres, ne pouvant traverser le salon par peur de déranger, Paul est exclu de chez lui par des fictions dévorant son quotidien.

Se trouvant un compagnon de déroute en la personne de Joseph, personnage de la crèche de noël en plâtre,  voici Paul et Joseph partis en quête d’un sens à leurs vies respectives… Drôles et irrévérencieux, touchants aussi par moments, ces deux personnages principaux allieront leurs logiques étranges et fantasques pour aider Paul à régler ses problèmes… 

Relation en miroir, Paul voit en Marie l’ingratitude de sa compagne mais également l’impossibilité de relations charnelles avec Sonia, la belle nonne… En colère contre un Joseph qui accepte d’être le père d’adoption  d’un enfant égoïste, Paul réagira, enfin, à ses propres compromissions et acceptations.

Roman parlant des hommes, de leurs rapports aux couples, aux femmes, à leur masculinité, de leur sexualité et de leurs idéaux amoureux, Saving Joseph est un bol d’air frais rafraichissant et stimulant dans un paysage littéraire surpeuplé de romans (plus ou moins bons) servant encore et toujours la version féminine seulement…

Premier du genre que je lis, j’y ai trouvé une plume grinçante et drôle me rappelant parfois du San Antonio, mais également, par le choix du thème et son traitement, à de la chick lit masculinisée… Or il s’avère que ce genre littéraire existe bel et bien : la lad lit. Messieurs, la littérature genrée légère traitant les problèmes de la vie quotidienne de votre point de vue vous ouvre les bras ! Avec des titres comme C'est elle de Danny Wallace ou encore La dernière semaine de mai de Christian Tétreault, voilà de quoi rétablir la balance avec la chick lit !

Histoire de deux compagnons de déroute, Saving Joseph fait cohabiter avec loufoquerie et tendresse un personnage millénaire en plâtre et un type un peu paumé croyant encore au romantisme. Dépeignant des portraits hauts en couleurs mais jamais caricaturaux, Laurent Clerc mène une lecture brute et sans concessions de notre société, allégée par les dialogues succulents dont il  parsème son récit. 

C’est trop facile de minauder auprès du premier type qui passe en grue pour profiter de sa palette.

Léger, décalé dans son traitement de la figure de Joseph, le cocu méritant et passif,  mais également par la qualité de la plume de Laurent Clerc, ce roman est une découverte sympathique méritant sa place au pied du sapin ! Relecture de l’histoire de la crèche à l’heure où la masculinité est en plein questionnement, ce roman pose avec courage les attributs masculins sociaux et émotionnels comme des pieds dans le plat décomplexés et salvateurs ! 

-Putain, Joseph, « tout va bien » ? Tu es « ravi » ?
J’empoigne la rambarde pour ne pas exploser.
-Les mages t’ont-ils seulement salué ? Marie t’a-t-elle seulement remercié d’être auprès d’elle ?
Joseph m’assure qu’il trouve une certaine satisfaction dans sa nouvelle satisfaction.


En résumé


Les plus :
  • Un humour décalé au service d’une sensibilité masculine 
  • Des répliques et expressions dignes d’un Audiard ou d’un San Antonio
  • Un questionnement en arrière plan sur la place des hommes dans notre société moderne.
Les moins :

  • Quelques ruptures rythmiques dans le récit, mais qui ne sont que la marque d’un premier roman.

C’est pourquoi ils se racontent, mieux : ils se vendent. Mais si personne ne les achètent ils croient  qu’ils n’ont aucune valeur.  Alors, pour couvrir le bruissement de cette angoisse, tous parlent, parlent, parlent.

 

En conclusion


Un roman alliant divertissement et bonne humeur avec un discours presque militant dans une société actuelle muselant presque le point de vue des hommes sur les questions de couple et d’amour.  Agréable à lire, ce roman est également un joli de pied de nez aux institutions et aux points de vues relevant de prénotions, qu’elles quelles soient ! 

La mort n’est peut-être que cela, la rupture de tous les liens avec l’altérité. 


cités dans cet article