mercredi 30 décembre 2015

Playlist de Christophe Ernault

Il pensait que plus il disait de conneries moins il en pensait. 
 
 

Si vous ne lisez que ces lignes;

Noir, sans aucune aménité pour l'humanité, décrivant les Kings & Queens of the Underground Playlist est un recueil de nouvelles construit comme un album de musique, partageant au travers de destins sombres et dépressifs la vision morne de notre société au travers de références pop et rock des années 70/80. Saupoudré de remarques vives et faisant mouche, de références citées littéraires ou musicales, ce texte court ne m'a pas embarquée pour autant... Tous à vos crayons khôls en rang derrière Robert Smith et en route pour une visite guidée du vide énucléé d'un lendemain d'orange mécanique....  

L'allumage de bougies était l'un des derniers actes que l'on pouvait raisonnablement qualifier d'antisocial. L'environnement fragile,  syncopé ( dés lors qu'un soupir s'en mêlait) que créait ces bouts de cire demeurait toujours aussi fascinant. 


Christophe Ernault 

Christophe Ernault, connu également sous son  nom de scène Alister, est un auteur, compositeur, interprète français né le . Il est également rédacteur en chef, avec Laurence Rémila, de la revue Schnock, dont le premier numéro est paru en mai 2011.

Il anime avec Mathieu Alterman l'émission hebdomadaire Bleu Blanc Schnock sur OÜI FM depuis mars 2015.

Entre 2001 et 2006, il est auteur pour la télévision pour des programmes comme Un gars, une fille, La minute blonde, mais aussi L'Hypershow et le Vrai Journal sur Canal+. En 2003, il rencontre Adrienne Pauly et collabore avec elle. Deux ans plus tard il écrit un recueil de nouvelles, Playlist, publié par les éditions Antidata. 

En 2006, il compose une partie de l'album éponyme d'Adrienne Pauly. Cette même année, Alister signe chez Barclay et rencontre le producteur Baxter Dury. Le 25 mars 2008, il sort son premier album Aucun mal ne vous sera fait. Son deuxième album, Double détente, est sorti le 7 mars 2011. Le 12 novembre 2014, il publie Anthologie des bourdes et autres curiosités de la chanson française. Il sort le 17 novembre 2014 un nouvel EP intitulé Avant / Après. Cet EP précède la sortie du troisième album d'Alister prévue pour le début de l'année 2015.

 L’atonalité régnante enlevait ainsi à l'homme l'un de ses plus grands plaisirs. L'un de ses derniers. L'harmonie n'avait pas été inventée pour les koalas. La mémoire était la prochaine sur la liste. 
 

 Le pitch  

Le bonheur se réduit-il à une accumulation aussi dépourvue de sens qu'une compilation de tubes ? Et que faire dans un monde où ni la politique, ni l'amour, ni le football, ne paraissent plus capables de justifier une existence ? Se réfugier dans la musique ? Se suicider ? Participer à des réunions de colocataires ? Dans un style vif où les références à Kant côtoient les citations de Sid Vicious, et en 14 nouvelles, comme il y avait 14 titres sur les albums des Beatles, quand ils étaient jeunes, l'auteur évoque une société qui ne parvient plus à enchanter grand chose.

Cynique ? Peut-être. Lucide ? A vous de juger. Drôle, sûrement.

Dans nos société l’asocial avait  depuis longtemps supplanté l'antisocial. Ainsi, on vous en voulait plus de ne pas montrer votre cul debout sur une table devant tout le monde que d'avouer votre dégout du système représentatif debout sur une table devant tout le monde. 

 

Ce que j'en ai pensé

Cynique et drôle ? Certainement pas. Ce sont là les jeux du cirque du siècle, et sous un fun darwin awardesque,  de grand guignol sanguinolent, de télé-poubelle-réalité se cache un cri digne de Thiéfaine; un rire de clown macabre déguisant des pleurs devant une société s'auto-dévorant en se saupoudrant de prozac. Les dingues et les paumés...

Délire déprimé d'un quadra en nostalgie d’icônes technicolors ou véritable coup de pied punk  donnant aux cochons de la confiture de leurs propres vies en un dernier salut élitiste et moqueur, le message du recueil est là, palpitant et intact ; la maladie de notre siècle est que nous avons fait des autres et de nos propres vies des maladies. 

A chaque nouvelle des morts absurdes, des femmes ne pensant qu'avec leurs vagins et désires de gosses, des hommes émasculés sautant d'une chimère au haut d'un pont...  Triste monde que nous décrit l'auteur. Triste d'autant plus le fait que le rappel de notre mortalité soit devenu un élément transgressif, comme l'auteur lui-même le souligne dans sa dernière nouvelle... 

L'humain coupé des autres se coupe de lui-même, le désir de procréation sans l'amour de l'autre et l'envie de connaitre l'Autre (le différent) est stérile, la jeunesse sans passion et rêves de révolutions devient nombriliste et se phagocyte... Tant de messages sombres et pourtant lucides sur notre société du paraitre et du plaire, véritable Trial littéraire.

Témoignage pour les sociétés du futur sur les dangers de l'ennui et de l’abscons provoquant l'anomie, texte pénible à celui qui garde encore quelques espoirs et seulement empli de symboles nostalgiques pour les Baby boomers  rêvant derrière leurs lunettes noires occultantes...  

A la façon d'un Serpent vert certains ne verront là qu'un bon conte acide leur permettant de passer une meilleure journée, ersatz d'un génocide sur TF1.... Comme hurlait John Feldmann ; Open your eyes !

Il embaumait son appartement de Mozart quand rien n'allait. L’œuvre de ce génie scatologique était touchée par la grâce et élevait le niveau de n'importe quelle petite vie de merde. A commencer par la sienne.  
 

En résumé... 

Les plus;
 
  • Des textes courts décrivant le destin absurde de personnages communs,
  • une bonne critique de ce qui va mal dans notre société,
  • un enfermement schizophrénique des personnages suscitant une réaction chez tout individu encore affublé d'un instinct de survie mentale.
  Les moins;   
  • Une vision plus que sombre de nos contemporains,
  • un vernis vintage caressant dans le sens du poil les bobos nostalgiques. 
Jamais le regard, la main de la société ne s’étaient posés avec autant d’attention et de compréhension sur eux. Mais jamais, aussi, ces derniers n’avaient été autant bercés d’illusions sur l’immuabilité de leur état. La donnée Temps manquait à leur équation mentale pour comprendre qu’ils ne faisaient pas partie d’un monde figé mais bel et bien en mouvement. Un jour ils seraient vieux et dignes à leur tour. Pour l’instant, ils n’étaient rien de plus que de la chair à business plan. Ce qui n’était déjà pas si mal… 

 
En conclusion;
Un recueil de nouvelles sex-pistolsiennes décrivant un no futur probable et une nostalgie amniotique musicale certaine. Coup de poing ou dose supplémentaire d’anxiolytiques, à vous de choisir ! 

Dans ces moments là elle se posait toujours la question suivante : "si j'étais une grosse conne de province qu'est-ce que j'aurais envie de voir à la télé ?". C'est comme ça qu'elle avait percé à la télévision. Pas en couchant. Mais en pensant à sa cousine... 

cités dans cet article 


 

jeudi 17 décembre 2015

L'ange de l'abîme de Pierre Bordage

Toute la connaissance repose sur l'accumulation, donc sur la mémoire. Sans le stockage des données, il nous manquerait l'élément principal pour naviguer. Imaginez que l'océan se soit asséché juste avant le départ de Christophe Colomb : il n'aurait jamais découvert l'Amérique. Le piège, c'est plutôt l'histoire, l'ethnocentrisme, l'exploitation de la mémoire collective à des fins conquérantes, hégémoniques.


Si vous ne lisez que ces lignes;

Un roman glaçant car tellement plausible... Dans un avenir proche, les guerres de religions ont renfermées l’Europe et les grandes régions mondiales sur elles-mêmes, les renvoyant des siècles en arrière. 

Récemment, un journaliste estimait que suite à la montée des nationalismes et intégrismes de tous bords un examen de conscience serait nécessaire bien que douloureux. Pierre Bordage l'a fait pour vous ; plongée dans les inconscients, les peurs et les coins sombres des bien-pensances où fomentent les monstres, L'ange de l'abîme est d'utilité publique en ces heures d’oscillation aux bord des abimes ; suivez le guide. 

Pierre Bordage

Pierre Bordage est né en janvier 1955 à la Réorthe, en Vendée. Après une scolarité où il passe 4 ans au petit séminaire, il suit les cours de DEUG de lettres modernes à Nantes mais ne décroche pas sa licence. 

Il découvre l'écriture lors d'un atelier en 1975 à l'université. Il n'a encore jamais lu de Science-fiction, lorsqu'il est amené à lire pour une dissertation Les chroniques martiennes de Ray Bradbury, qui est une véritable révélation. Découvrant à Paris un ouvrage d'Orson Scott Card édité par l'Atalante, il propose Les guerriers du silence à l'Atalante, qui l'éditera en 1993.

La reconnaissance des amateurs et des professionnels de la science-fiction se traduit rapidement par le Grand Prix de l'Imaginaire et le Prix Julia Verlanger en 1994. Il obtient encore le prix Cosmos 2000 pour La citadelle Hyponéros en 1996, et le prix Tour Eiffel de science-fiction 1998 pour Wang.

C'est avec sa trilogie "Les Guerriers du silence", publiée aux éditions de l'Atalante et vendue à 50 000 exemplaires, qu'il rencontre le succès. Ce space opera ainsi que le cycle de Wang sont salués par la critique littéraire comme des œuvres majeures du renouveau de la science-fiction française des années 1990, genre qui était alors dominé par les auteurs anglo-saxons.

En 2000, il crée avec Folio l'aventure des Derniers hommes, un feuilleton en six volumes.

Au fil de ses publications, Pierre Bordage acquiert la notoriété et une reconnaissance parmi les meilleurs romanciers populaires français. Auteur d'une quarantaine d'ouvrages ainsi que de nouvelles, publiés chez différents éditeurs (notamment Au Diable Vauvert) et de différents genres (fantasy historique avec L'Enjomineur, science fantasy avec Les fables de l'Humpur, polar, etc.), il a aussi conçu des novélisations et a même réalisé quelques scénarios pour le cinéma, pour ensuite s'essayer à l'adaptation théâtrale ainsi qu'à celle de sa propre œuvre en bande dessinée.

Les ouvrages de Pierre Bordage ont une orientation humaniste, axée sur la découverte de la spiritualité, la lutte contre le fanatisme ou encore le détournement du pouvoir politico-religieux au profit de quelques-uns. Bien qu'issu de la science-fiction, il travaille bien davantage sur ses personnages que sur la science et les technologies qu'il met en scène, et s'inspire des épopées et des mythologies du monde entier.

Venant en second, L'ange de l'abîme fait partie de la trilogie des prophéties. Mettant en scène des personnages différents au fil de ses tomes, la trilogie des prophéties explore les religions et leurs dérives en détail. L'Évangile du serpent forme une version moderne des quatre Évangiles en s'intéressant à la question de ce que provoquerait la venue d'un homme doté de pouvoirs christiques à l'époque moderne. L'Ange de l'abîme revisite l'Apocalypse, et Les Chemins de Damas s'interroge sur la rédemption humaine. Vous trouverez ici un excellent article sur la trilogie écrit par le Fictionaute


Pour la grande majorité des hommes, cesser de vouloir équivaut à cesser de vivre. Pour toi et moi, et pour tous ceux qui nous ont précédés dans cette voie, dans cette non-voie plutôt, c'est exactement le contraire : on commence à vivre quand on cesse de vouloir. 


Le pitch  
Dans une Europe d'apocalypse ruinée par la faillite des OGM, enlisée dans la guerre contre le Moyen-Orient, en proie au fanatisme religieux et au racisme, le voyage initiatique de Stef et Pibe, deux adolescents à la recherche de l'archange Michel, le dictateur tout puissant qui gouverne le vieux continent depuis sa forteresse roumaine.

"Toi pas de famille, pas de parents ? Pourquoi tu vouloir connaitre ousamas ?
- Pour continuer d'explorer le cœur des hommes." 


Ce que j'en ai pensé

Polyphonie, miroir éclaté, L'ange de l'abîme propose à chaque chapitre une alternance entre l'aventure de Pibe et de Stef dite "fesse" et les chroniques du quotidien de personnes aux origines et personnalités variées allant crescendo dans les strates du pouvoir. Chaque reflet humain de ce miroir brisé montrant bien plus qu'une seule voix, dépassant la subjectivité d'un seul individu tout en conservant la dimension humaine en son sens premier ; salauds ou innocents, chacun suit son destin. 

Examen de conscience collectif, sans jugement ni orientation visible de l'auteur, les différentes stratégies de survie et façons de comprendre et appréhender le monde s'entrechoquent, microcosme de la sélection naturelle au sein d'une société humaine retournée à l'état sauvage. 

Parfois dérangeants, ces portraits tentent tous de présenter les deux facette des humains; le rôle suivit ou choisit dans la société et le moi profond, créant une forme de compréhension empathique, plongeant le lecteur dans cette même étrangeté à soi ou dégout de l'autre que Le parfum de Suskïnd ou L'étranger de Camus.  

Explorant les bassesses humaines, Bordage se fait ici Zola de nos futurs possibles,  labourant la boue des consciences de ses lecteurs au-travers de ses personnages, traquant chaque infime nuance, proposant de retourner tout cela à ciel ouvert afin de laisser respirer le terreau pour de nouvelles et meilleures idées. 

Douloureux, parfois laborieuxL'ange de l'abîme porte également le message qu'il ne sert à rien de chercher le réconfort ou la sécurité temporaire tandis que la vie est un succession de violences plus ou moins acceptées voir recherchées. Naissance, sexe, peurs, passions, présence des corps et des odeurs des autres, mort; Bordage glisse subtilement le message que le vouloir sécuritaire est un leurre qui enferme dans un monde confinant à un camp de concentration et acheminant les sociétés vers ce qu'elles produisent de pire... 

Guerre des tranchées et paresse des généraux de la première guerre mondiale, camp de concentration et d'extermination de la seconde, chasse aux sorcières des guerres de religion, manipulation des puissants à des fin hégémoniques, enfants soldats, suppression des droits des femmes, recul des savoirs, retour des intégrismes, et, au milieu de tout cela, des individus courageux tentant de porter les valeurs de justice, d'humanité... 

Partant de la périphérie , Pibe et Stef s'achemineront vers l'œil du cyclone, pionniers d'une nouvelle humanité, semblables aux deux héros d'Une rose au paradis de Barjavel, allégorie de la caverne.  Pibe deviendra un homme, au sens nietzschéen, initié par un Stef à la fois dame du lac et ange annonciateur.

Violent à tous les sens du terme, L'ange de l'abime ne laisse pas intact son lecteur.  Mais il y réside une mélopée, une fine fumée chantante s’échappant du tas de fumier et des ruines de la folie humaine, un sentier d'espoir, qu'il serait dommage de rater. 

Dérangeant comme bien d'autres de ses œuvres, Bordage signe un coup de maitre avec L'ange de l'abîme, tisseur de l'étrangeté à soi-même du genre humain, étrangeté douloureuse bien que salvatrice

Si personne n’arrêtait l'archange Michel... 
Pibe leva un regard incrédule sur Stef qui marchait à ses coté. S'immobilisa, pétrifié par la révélation. 
Bon Dieu, cette meuf avait conçu le plan foireux, complétement dingue, de débarrasser le monde de l'archange Michel, l'homme le plus mystérieux et le plus protégé d'Europe.   


En résumé... 

Les plus;
  •  Une analyse en profondeur de nos sociétés et des Hommes,
  • des personnages vrais, parfois attachants parfois abjects,
  • une écriture rythmée et superbe,
  • une dimension épique portant le tout.  
  Les moins;   
  •  une vision noire et profondément dérangeante

 Il n'avait pas franchi le seuil de leur âme, il n'était pas allé à la rencontre de leur être profond, celui qui se planquait sous les apparences, celui qui subsistait après la distribution des rôles. 
Le moi caché.
Le moi immobile, imperturbable, au milieu des émotions, au milieu des tempêtes.  

 

En conclusion;


Perturbant en sons sens salvateur, L'ange de l'abîme est un roman épique proposant une vision en strate des âmes et cœurs humains. 1984 ou Farneheit 451 de notre époque, ce roman est, à mon sens, d’ors et déjà un classique monumental, monstrueux comme l'ont été Germinal ou Le meilleur des mondes en leurs temps.

 Dès que la religion fourre son nez dans les affaires humaines, on peut craindre le pire. Les religions, toutes les religions, celles du Livre et les autres. Il n'y en a pas de meilleure que d'autres, pas de pire. Elles se valent. Ce sont toutes mes machines d'exclusion, d’oppression, de destruction, elles se réclament toutes du ou des vrais dieux, elles revendiquent toutes des territoires, des frontières, des privilèges, des vérités, des dogmes, elles sont toutes à enfermer dans un sac et à noyer dans des vallées de larmes.

cités dans cet article