mardi 20 janvier 2015

Aujourd'hui l'abîme de Jerôme Baccelli

-Le grand oubli de l'Antiquité, c'est quand même bien le vide, avait-il lâché un matin dans le hall de notre tour de la Défense, alors que je venais de le féliciter pour son exceptionnelle collection d’œuvres d'art.
-Et le grand fléau de la modernité c'est la finance, avais je répondu en guise de plaisanterie.
-Pourquoi dites-vous cela, Pascal ? Je croit plutôt qu'il s’agit de son exutoire. La finance est une transformation du beau, et de la souffrance.


Si vous ne lisez que ces lignes;

Un roman nébuleux, fascinant, dans lequel on entre comme dans un rêve. Une écriture emplie de mystére et d'un parfum d'absolu, délivrant une vision inédite de notre époque et du cheminement scientifique et spirituel de l'humanité pour y parvenir. Prenez donc cet esquif pour faire un tour du monde qui vous fera tourner la tête ! 


Jérôme Baccelli


Né en 1968 à Marseille, d’une mère traductrice d’italien. Consultant à l’international en Télécommunications, il vit à Bruxelles, Copenhague, Madrid, Lisbonne, avant d’occuper en 1996 un poste en Chine puis à la Silicon Valley, où il participe au succès et à la déconfiture de quelques start up californiennes. 

Son expérience lui inspire un premier roman-essai, Tribus Modernes (Le Rocher), jetant à l’aube de la crise financière un œil critique sur une société agrippée aux hautes technologies et à une finance éthérée. 

Son deuxième roman, Encre Brute s’inspire d’une facette peu connue de Saddam Hussein et décrit les pérégrinations d’un poète malheureux comblant son manque de talent en prenant le pouvoir et en régnant sans merci sur son peuple.

Troisiéme roman de Jerôme Baccelli,  Aujourd'hui l'abîme est parut en 2014 aux éditions Le nouvel Attila.


Le pitch

Un homme quitte sa femme, son entreprise et son patron – John Edward Forese, plus grand financier de la planète – pour faire un tour du monde en bateau. Là, seul face à l’horizon et aux étoiles, échappant à tous les repères et revivant le souvenir d’une nuit mythique passée à contempler des tableaux dans un couvent de Corte, il retrace l’histoire de la fascination des hommes pour le vide.

De l’étude de l’éther par les philosophes de l’Antiquité à Einstein, des ciels de Van Gogh aux monochromes de Klein, de Google aux logiciels de spéculation boursière, il dresse le tableau d’une époque. Face à l’étrange dynastie de ces chercheurs du vide, perpétuellement en avance par rapport à leur temps, il finit aussi par s’interroger sur le lien secret entre Forese, aux origines familiales troubles, et les scientifiques qui l’ont précédé : et si le secret de l’édifice mondial ne tenait qu’à un mot… un tableau… ou au regard des iguanes du Mexique ?

Roman français de Jérôme Baccelli
Photographie de couverture de Denis Darzacq
978-2-37100-0025 – 160 pages – 16€


 En songeant à cet empire financier qu’il avait bâti pendant toutes ces années, il se demandait en permanence, au delà de ses 17 000 employés, de ses châteaux et de ses avions, de ses déjeuners avec des chefs d’État, si tout cela existait vraiment. 


Ce que j'en ai pensé

Ecrire sur l'abîme, sur la fascination jamais démentie du genre humain pour cette intuition qu'il existe quelque chose dans les interstices, c'est là un paris fou que reléve avec brio Jerôme Baccelli.

Touchant au transcendantal,  à la quête d'absolu au travers des âges, à une quasi mystique tour à tour approchée par des scientifiques, artistes ou économistes, Aujourd'hui l'abîme nous livre une lecture de l'histoire de nos évolutions civilisationnelles sans aucune prétention, semblant à tâtons quand il n'en est rien...

Précis, intuitif, sensitif, ce roman qui pourrait sembler extrêmement intellectuel par son choix de sujet propose une écriture à l'opposé, nous plongeant dans une poétique portée par les pérégrinations maritimes du narrateur. Rejoignant un horizon jamais atteignable hormis peut-être dans la mort, l'auteur joue des intuitions hallucinées d'une humanité humant depuis toujours qu'il existe bien un éther, une matière noire, un quelque chose fondateur du fonctionnement du tout. 

Ce roman stimulant et introspectif m'a beaucoup fait penser à Sunshine de Danny Boyle, film posant la question de la relation symbiotique et fascinée qu'entretient l'homme avec le soleil. Une même écriture me semble allier ces deux œuvres ; le mouvement incessant des acteurs justifiant et permettant un point géostationnaire interne, point d’interrogation fascinant sous la gangue. 

Définissant l'objet par l'espace plein l'entourant afin de ne pas amoindrir ni limité par les mots ou une quelconque définition finie un objet infini, Jerôme Baccelli fait graviter son lecteur autour de ce vide plein. Procédé d'une littérature quantique.... 

Jalonnant cette quête, les étapes humaines, géographiques, historiques et scientifique du héro permettent d’éviter la noyade au lecteur. Placée sur le rabat de fin du roman, une chronologie des chercheurs de cet absolu au travers des âges, cités dans leur ordre d'apparition dans le roman, permet au lecteur d'appréhender de manière plus synthétique un raisonnement qui pourrait en perdre plus d'un... 

Proche d'une logique hindouiste, les milles visages de l'abîme présentés par l'auteur nécessite un choix, une élection d'un visage parmi la multitude, qu'il soit arrêté par soi-même ou par la fin de course qu'est la mort... Ce choix sera différent selon les protagonistes du roman, et tous choisiront un port d’élection sur cette mer infini, une mer bleu Klein. 

se perdre pour se trouver, prendre l'humanité entière comme laboratoire ou accepter le passage des événements, au fond ce roman est certainement celui de la vacuité. Insaisissables, l'abîme comme la narration forcent à un lâché-prise salvateur et donnant le vertige, apportant encore par les sensations du lecteur à cette approche au plus prés du noyau d’énergie noire.   

véritable exercice d’hermétisme, Aujourd'hui l'abîme pousse la réflexion jusqu'au crash boursier de ces dernières années, interrogeant nos incohérences civilisationnelles sous un angle inédit. 

Une plongée magnifique dans les abysses, un grand bleu dont on ne revient pas tout à fait identique, certainement le roman le plus stimulant qu'il m'ait été donné à lire ces derniers temps !

Au fond, le véritable ennemi des religions est moins le mal que son absence. Même Descartes a déclaré contraire à la raison d'imaginer un espace vierge de toute matière. 


En résumé

Les plus :
  •  un sujet passionnant servit par une écriture fluide et lumineuse,
  • une exploration chronologique des chercheurs d’éther au travers de l'histoire, 
  • une lecture inédite de notre système économique,
  • une qualité de papier, pagination et format en faisant un bel objet littéraire.

Les moins :
  • Un propos peu didactique qui pourrait lasser certains lecteurs...
 
L'horizon plutôt brumeux de l'Atlantique est-il en train d'incurver mes sens autant que celui, bien plus virtuel, qu'affichaient les cinq écrans de mon PC dans le front office ? 

 

En conclusion

 Un texte dense bien que vaporeux, un sujet profond touchant à l'introspection mis en perspective par le voyage et les parfums d'ailleurs... Un ouvrage addictif quand il aurait tout pour être agaçant. 
Plongez donc dans l'abîme ; vous y flotterez ! 

Dans l'âme du décalé, comme dans celle de l'expatrié chronique, la conviction de partir bientôt là-bas dissuade du moindre effort pour s’intégrer ici. On aggrave donc constamment son cas, il n'y a pas d'issue. Elle a raison Alice, comme toujours. Un infime déplacement par rapport à la réalité, pas grand-chose, un millième de millimètre tout au plus, rien de physiologique ou spirituel, ni de décelable par les techniques modernes. Ces choses-là on les sent et c'est tout, heureusement.


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