La première fois où je l'ai frappée, j'attendais de sa part une réaction plus vive. Mais elle est restée étendue par terre en se tenant la joue. Et en me regardant fixement. En silence.
Si vous ne lisez que ces lignes;
La description quasi journalistique de la trajectoire d'un être manipulateur qui finit par être violent, au travers des yeux des différents protagonistes de sa vie. Merveilleusement bien écrit, sans parti-pris, d'une écriture fluide et lucide, quasi froide, Oliver est un bijoux psychologique rondement mené pour votre plus grand inconfort...
Liz Nugent
Auteure irlandaise ayant travaillé pour le cinéma, le théâtre et la télévision irlandaise, Liz Nugent vit à Dublin, sa ville d'origine, avec son mari. Elle a fait partie des sélectionnés pour le prestigieux prix Francis McManus Short Story Award.
Son premier roman, Oliver, paru en 2014 en Irlande, est publié en France par les éditions Denoel.
Pour faire plus ample connaissance avec cette jeune auteure, voici son site.
"-Pourquoi restez-vous ? Pourquoi vous ne le quittez pas ?
- Il a besoin de moi... Enfin, il avait besoin de moi". Elle s'est reprise. "Il m'a dit qu'il ne pouvait pas écrire les histoires sans moi.
- Et l'amour dans tout ça ?
- Je croyais que c'était ça."
Le pitch
Alice et Oliver Ryan sont l’image même du bonheur conjugal.
Complices, amoureux, ils mènent la belle vie. Pourtant, un soir, Oliver
agresse Alice avec une telle violence qu'il la plonge dans le coma.
Alors que tout le monde cherche à comprendre les raisons de cet acte
d'une brutalité sans nom, Oliver raconte son histoire. Tout comme les
personnes qui ont croisé sa route au cours des cinquante dernières
années.
Le portrait qui se dessine est stupéfiant. Derrière la façade du
mari parfait se cache un tout autre homme. Et lorsque le passé
resurgit, personne n'est à l'abri, pas même Oliver.
Nouveau génie du suspense psychologique, Liz Nugent dissèque la fabrication fascinante d'un monstre, du mal à l’état pur. Un roman dans la pure tradition de Patricia Highsmith, qu’on ne lâche pas jusqu’à la toute dernière page.
Tout au long de notre mariage, j'ai expliqué à Alice on ne peut plus
clairement que je ne tenais pas à être informé des cycles, saignements,
kystes, pertes ou autres manifestations dégoûtantes qui semblaient être
l'apanage de son sexe, et je dois reconnaître qu'elle ne m'a jamais
dérangé avec ça. Je tolérais une "migraine" mensuelle, et peu
m'importait si elle devait entrer à l'hôpital pour une intervention de
temps à autre. Cette chère Alice.
Ce que j'en ai pensé
La littérature, en tant qu'art, n'a pas pour vocation de ne proposer que du beau et du rêve, mais bien aussi de provoquer des réactions, quelles qu'elles soient, chez son récepteur. Mission réussie par ce premier roman magistral; une plume nette, dépourvue d'empathie ou d'explications, trace le portrait en quelques brossages d'un monstre social, se dessinant peu à peu au travers de sa propre voix mais aussi de celles et ceux qu'il a côtoyés.
Démêlant peu à peu l'écheveau, poussant le lecteur en une enquête de mœurs, Liz Nugent ne force jamais le trait, se contentant d'exposer les faits et les histoires vécues par ses protagonistes. Du frère d'Alice handicapé à son premier amour, des gens ayant tenté d'être amis avec Oliver au discours de celui-ci, chaque chapitre se propose comme une interview, un témoignage, suivant une route chronologique à rebours, menant au cœur du monstre, de sa construction et de ses justifications...
Sociopathe n'ayant aucune notion du bien et du mal, psychopathe ne percevant dans les autres êtres humains d'uniques moyens à utiliser, incapable d'empathie quand cela ne le concerne pas, Oliver n'est pourtant qu'un monstre usuelle, un monsieur tout le monde, un individu ne se liant pas à l'humanité hormis pour ses besoins personnels. Pervers narcissique, terme à la mode aujourd'hui, Oliver n'est pas un fait rare, bien que sa sortie du placard ayant mené à la quasi mort de sa femme est été explosive...
Intense, hypnotisant, le récit tient le lecteur de bout en bout, ne basculant jamais dans le pathos ou la thèse de psychologie de comptoir, se plaçant d'emblée dans la lignée des romans de Mo Hayder ou de Thomas Harris. Dessinant en creux les discours et croyances autour des maltraitances domestiques, de la femme victime "un peu" à cause d'elle, du violent à l'enfance malheureuse, de l’indifférence généralisée pour les victimes et, enfin, de la fascination morbide des médias et de leurs consommateurs, Oliver est également un portrait social sans concession construit autour d'un tabou.
Reste enfin le portrait psychologique du protagoniste principal; Oliver. Avide de réussite, pathétique par son besoin de plaire, c'est avant tout le récit d'un être incapable de sentiments car privé de ceux-ci dés l'enfance. Si l'explication, superbement écrite, peut porter à de la compassion, elle reflète également à merveille le piège dans lequel nombre des personnages présentés sont tombés vis-à-vis d'Oliver...
Enfin ,dernier point paraissant en creux tout au long de cette chronique sociale qui aurait pu être banale sans ce merveilleux tissage dans la trame; l'idée que, quelque part, ce sont les notions de réussite sociale et d'agressivité compétitive qui font paraitre les gentils pour des perdants et qui construisent des victimes... Alice victime de son aveuglement par un être paraissant brillant, Oliver victime de son besoin de plaire et de réussir...
Reste alors la question de savoir si ce ne sont pas ces notions de réussite par la compétition et non pas par le bonheur et le lien social tissé qui créent des bourreaux et des victimes, question qui engagerait alors tout un chacun sur un point où, bien souvent, chacun campe sur son quant-à-soi...
Pas besoin d’aimer une personne. Il suffit d’aimer l’idée que l’on se
fait d’elle. On peut alors l’idéaliser et la transformer en celle dont
on a besoin.
En résumé...
Les plus;
- Un récit construit au cordeau, incroyablement vraisemblable,
- des personnages aux psychologies passionnantes,
- une écriture dénuée d'explications, quasi journalistique, semblable à une enquête,
- un roman dérangeant, posant le débat sur la table dans toute sa complexité.
Les moins;
- Manque tout de même à mon sens les voix de Laura et surtout d'Alice, bien que cela s'explique dans les choix narratifs - Laura étant morte et Alice dans le coma.
Il aurait pu devenir le héros à ma place.
En conclusion;
Un roman dérangeant dans le bon sens du terme, partant d'un fait divers pour parler en trame de fond d'un problème de société. Servit par une plume efficace, une construction narrative et des personnages solidement établis psychologiquement, Oliver est une réussite totale et Liz Nugent un nom d'auteure à retenir.
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