vendredi 20 novembre 2015

L'histoire du géant d'Anne Herbauts

Titan grisé de lune, Ogre soulevé d’allégresse dans l'aria nocturne, les flammes des feux de Saint-Jean lèchent ses joues rougies, ses lèvres palpitantes aux mots sauvages, indomptables, fauves, doux, démesurés, outre-mer, outre-temps, outre-coeur, outre-corps. Brasier et sortilèges !
Dansèrent, dansèrent là, ses émois et ses rêves ! 


Si vous ne lisez que ces lignes;

Voici un conte, ou une poésie. Voici le récit en image et en paroles (ou paraboles ?) d'un géant tombé au cœur de sa forêt.  Mouvantes les images et les sons de la langue, les émotions et les lumières jouant dans les feuillages ou la brume. Délicat, original et beau, L"histoire du géant parlera à vos émotions tout en vous ravissant par sa plume et ses illustrations. Coup de cœur pour un ovni du monde de l'édition. 

Anne Herbauts


Née en 1975, cette jeune artiste belge aime explorer des pistes de narration sous toutes ses formes : livres pour la jeunesse, bandes dessinées, courts-métrages, films d'animation. 

Avec une vingtaine d'albums et plusieurs bandes dessinées à son actif, Anne Herbauts poursuit à travers ses livre son exploration du temps, un de ses sujets de prédilection. 

Une artiste sensible et en perpétuelle recherche, qui a su en peu de temps imposer ses formes d’écriture et sa griffe dans le paysage du livre pour la jeunesse. Plusieurs de ses ouvrages sont traduits au Japon, Italie, Grèce, Corée, Brésil, Allemagne, Chine, Espagne, Mexique, États Unis, Angleterre (UK), Taïwan, Hong Kong et Macau.

Écrire, raconter l'histoire et son absence. Dire en écrivant l'entour, les abords. On ne peut dire, on ne peut écrire, ni tracer, on marque juste l'absence par ce contour, cette trace d'évidemment, par répétition, bégaiement, retournement des mots, des sens. Écrire c'est dire les blancs. Je ne suis ni dans l'image, ni dans le texte. Je suis dans les deux à la fois. Entre les deux, l'entre-deux, serait mon "lieu de travail". Le temps est un de mes sujets de prédilection. Je dis dans la marge, l'entre-deux, l'entre-cases. Mon travail est une recherche d'écritures : albums jeunesse, BD, court-métrages, films d'animations...

Un très bel article sur cette artiste pour télérama en lien ici et ses interventions radiophoniques pour France culture ici.

Paru aux éditions Esperluète , L'histoire du géant est leur sixième collaboration.


Le pitch

Que je vous conte l’histoire, l’épopée du Géant! Si vous voulez l’entendre, ce que l’on dit de lui, ce qui parvint des halliers. Elle est si vraie, l’histoire du Géant Tombé, que la foret garde encore dans ses troncs et ses branches la plainte-mélopée. 

Qui sait l’entendre, cette parabole du Colosse éconduit, a connu l’amour et le chagrin. A dansé par-dessus les feux une nuit de Saint-Jean, a pleuré́ des larmes de plaisir, d’allégresse, de détresse. A mordu le suc sucré et amer des amants. Mais que je vous conte l’histoire, plutôt! Elle est fort belle. Ecoutez donc ! Oyez ! L’épopée du Géant…


D’emblée le ton est donné, il s’agit bien d’une épopée à la langue riche et soignée qui emmène les petits et les grands au fond de la forêt à la recherche d’un être gigantesque. Tout le monde en parle, tout le monde sait qu’il est là, mais personne ne l’a jamais vraiment vu...

Asseyez-vous, écoutez donc, laissez-vous bercer par le rythme des mots et entrez dans cette forêt-personnage qui enveloppe tout. 

Le texte d’Anne Herbauts coule comme une plainte et ses peintures à l’huile envahissent les pages. Le livre progresse du noir au doré et le conte, à la fois poétique, lumineux et grandiose, nous dit qu’il est possible de tomber d’amour et de se relever dans la lumière, plus grand, peut-être, heureux, surement.



Ce que j'en ai pensé

Voici donc l'histoire d'un géant tombé au cœur d'une forêt. De son grand corps meurtri émane une tristesse inouïe, que tout et tous répercute, hommes, bêtes et plantes, ciel et terre. Propagation d'une onde sismique, semblable au tonnerre, la terre et l'air vibrant de l’explosion, et au silence total qui s'ensuit. 

Chaque être humain à vécu  pareil coup de tonnerre; ébranlant, mettant à terre,  auquel seul le silence, en premier lieu répond. Puis s'ensuit la mélopée s’échappant des êtres en souffrance pour finalement, parfois, lorsqu'elle a réussit à se conter pleinement, devenir un chant de renaissance et de joie. 

Géant humanoïde ou arbre ? peut importe. Tout comme la raison de sa chute. Il a trébuché dans les méandres de sa vie. 

Déterminer la forme, floue et mouvante, d'une sorte d'événement de la vie, conter les pulsations et pulsions animant le vivant et le sensible, dépeindre un paysage là où d'autres auteurs auraient conté le chemin, voilà le très beau travail d'Anne Herbauts. 

Plaçant le mouvement non pas dans le déplacement mais dans la mutation, ici au travers des saisons, du temps, de la pluie, de la végétation changeante, Anne Herbauts raconte la lente résilience qui opère dans le jardin de chacun au lendemain d'une tempête. Nul besoin de courir se réfugier dans le parc d'autrui...  

D'une certaine façon, L'histoire du géant m'a fait penser à l'empire des signes dans lequel Roland Barthes explique que dans l'art (et l'art de vivre) japonais l'objet est présent pour mettre en valeur le vide, où le contour désigne sans l'assigner et le figer le contenu... Silence plein de sens retrouvé dans les haïkus et tout travail de poétique, dire sans déformer le vivant donc constamment mutant.

Renouant avec la fonction première du mythe ou du conte, sa force symbolique, Anne Herbauts déroule avec la douceur de sa plume et de son pinceau un morceau de toile de la vie, peinture en mouvement, fuyante et changeante, touchant à l'intuitif en faisant une cabriole par-dessus l'intellect. 

Ce magnifique ouvrage, proposé par Anne Herbauts en collaboration avec les éditions esperluète, est également une recherche stimulante, (la fabrication même), d'un pont entre littérature et art oral, art plastique et art de dire, danse du corps du conteur et paginations sublimes, reliant la rythmo-mimique à la mythodologie, dépassant les modes et modèles mythiques. 

Un ouvrage inclassable donc, unique, faisant du bien à l'âme, au cœur et aux mots.  Plongée dans un monde végétal, aux racines nourrissant les tréfonds des mythes ayant vu le jour dans nos campagnes, j'ai senti une parenté avec La vie des elfes de Muriel Barbery, les très beaux chants chamaniques de Mario Mercier ou encore Le jardinier de l’Éden de Clarissa Pinkola Estés. 

Je remercie donc grandement Libfly et son opération la voix des indés proposant la découverte d'éditeurs indépendants pour cette superbe rencontre !


 Au bonnet saluant preste, les habitants vaquaient.
Vaquaient, voyez. Vaquent. Cependant, ils portent et bercent une tristesse. Elle s'est glissée dans leurs pas. Leurs gestes ont quelque chose du Géant, un dépliement, long, lent, grave, creux. Quelque chose de bleu sombre. Aux lèvres, une blessure d'écorce dans les mots qui passent.
 

En résumé... 

Les plus;
  • Une plume et un pinceau superbes,
  • un conte pour tous ages sur la tristesse et la renaissance,
  •  un ouvrage magnifique de par son format et sa qualité de traitement, 
  • un conte-poésie qui fait du bien et met du baume sur les blessures. 
 Les moins;   
  • Je n'en voit aucun ! 

En conclusion;

Superbe, touchant, vibrant, pudique et apaisant. Un petit bijou d'élégance sensible, un objet d'art, la découverte d'un ami précieux et simple comme fut pour moi celle du petit prince.


Et les brandons mangèrent sa fatigue. La nuit semblait éternelle. Les constellations étaient belles. Tout était immuable, immortel. Tout chavirait. C'était inimaginable de force et de beauté. 




cités dans cet article





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